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Tout savoir sur l’addiction au tabac

Tout savoir sur l’addiction au tabac

Dr Ivan Berlin

L’addiction au tabac n’a pas de secret pour vous ? Dans ce dossier, en 19 points, vous connaîtrez les dessous de cette dépendance, révélés par le Dr Ivan Berlin, pharmacologue (Département de pharmacologie, CHU Pitié-Salpêtrière, CESP-INSERM U1018, Paris et Policlinique Médicale Universitaire, Lausanne).

1. La trajectoire d’un fumeur prend racine dans l’adolescence, avec les premières bouffées de cigarette. Certaines personnes en ressentent une aversion, d’autres y trouvent un bénéfice et vont alors en consommer régulièrement, entrant dans le circuit de la dépendance. Un schéma valable pour toutes les substances addictives, dont le tabac. Avec 75 000 décès chaque année, le tabagisme est la première cause de mortalité évitable en France.

2. La dépendance physique se développe très vite, en 4 et 6 semaines avec l’apparition de symptômes de sevrage. Elle s’accompagne, dans des proportions variables, d’une dépendance psychologique (gérer son anxiété, se concentrer, se faire plaisir) dont les bases sont neurobiologiques, et se manifeste par le comportement du fumeur influencé par la pression sociale et conviviale.

3. On traite la consommation de tabac et non pas la dépendance. Plus précoce est l’entrée dans le tabagisme, plus difficile sera le sevrage. Explication : la grande plasticité du cerveau de l’adolescent le rend hypersensible à toute imprégnation, que ce soit avec les émotions ou des substances addictives. Le « priming » définit l’imprégnation fonctionnelle et moléculaire survenant lors de la première absorption d’une drogue et qui persiste des décennies. Même bien plus âgé, et lorsque l’on a cessé de fumer, la sensation de plaisir procurée par le tabac demeure. La dépendance reste généralement présente du fait de l’élaboration dans la jeunesse des circuits cérébraux conditionnés par l’inhalation de nicotine. C’est l’une des explications aux nombreuses rechutes lors des tentatives d’abstinence.

4. La nicotine est la substance majoritairement responsable de la dépendance.

5. Le circuit de l’addiction tabagique. La nicotine inhalée se lie fortement à des récepteurs cholinergiques universels dénommés « récepteurs nicotiniques de l’acétylcholine » (alpha4-bêta2, alpha7…..) présents dans le système nerveux central au niveau du noyau accumbens du système limbique (« cerveau des émotions »). Il y a aussi des récepteurs périphériques, par exemple dans les ganglions paravertébraux. L’agoniste « naturel » ou physiologique, endogène de ces récepteurs est le neurotransmetteur acétylcholine. Mais il se trouve que la nicotine est également un agoniste important de ces récepteurs cholinergiques et se lie avec une forte affinité à eux ; cette liaison au niveau du système nerveux central est la responsable de la dépendance au tabac.

Ces récepteurs cholinergiques sont notamment impliqués dans le contrôle des mouvements volontaires, la mémoire et l’attention, le sommeil et la veille, la douleur et l’anxiété.

La fixation de l’acétylcholine ou de nicotine sur les récepteurs nicotiniques de l’acétylcholine provoque, lorsqu’ils sont présents sur les neurones dopaminergiques, la libération de dopamine avec l’apparition d’une sensation hédonique : celle-ci est physiologique avec l’acétylcholine, elle est artificielle avec les drogues. D’où un manque de plaisir et de bénéfice à l’arrêt de l’inhalation de la nicotine, générant le phénomène de manque.

6. Contrairement au cannabis ou à l’alcool, la nicotine est un psychostimulant.

En stimulant les récepteurs à l’acétylcholine, la nicotine (comme les amphétaminiques) augmente, en quelques secondes, la libération de plusieurs neurotransmetteurs (molécules chimiques qui assurent la transmission des messages d’un neurone à l’autre) dont la dopamine (citée plus haut) qui stimule le circuit de la récompense, le plaisir, mais également la sérotonine qui augmente l’humeur et supprime l’appétit, et la noradrénaline qui accroît l’éveil, l’attention et la performance psychomotrice (stimulation intellectuelle).

7. La dépendance dans toutes les addictions est sous le coup du renforcement positif et négatif. Le renforcement positif est de se sentir bien ou mieux grâce à la substance. Le renforcement négatif est que l’on ne se sent pas bien lorsque la substance n’est plus disponible, avec la sensation de manque. Le poids relatif de ces deux types de renforcement varie selon les individus. D’où une dépendance variable chez les individus et un sevrage plus ou moins difficile.

8. Il n’y a pas de consommation de tabac « zéro risque ». Il n’existe pas de seuil au-dessous duquel fumer ne représente aucun risque. Quel que soit le risque étudié (faible poids de naissance, risque de coronaropathies etc.), la courbe dose/risque est linéaire au début, augmentant très fortement puis atteignant rapidement un niveau où la croissance du risque par augmentation de la consommation est plus faible. On peut situer ce fléchissement de la courbe aux alentours de 5 cigarettes/jour. Si une femme enceinte fume une cigarette pendant la grossesse de temps en temps, le poids de naissance de son enfant est déjà amputé de 260 grammes. Même avec une consommation inférieure à 5 cigarettes par jour, la toxicité est mesurable. Il y a plus de différences en termes de poids du bébé entre zéro et 4 cigarettes quotidiennes qu’entre 5 et 9, voire 9 et 15. Quant au risque coronarien ou pulmonaire, son augmentation est sensiblement identique que la personne fume 5 cigarettes/jour ou 10. Une publication récente a estimé qu’une cigarette par jour fait encourir 50% du risque conféré par 20 cigarettes au niveau du risque cardiovasculaire (1).

9. Le tabagisme est un facteur de risque de diabète de type 2 : le risque d’un fumeur de développer un diabète de type 2 est augmenté de 30 à 40%, avec une relation dose-dépendante en fonction du nombre de cigarettes quotidiennes. Et la liste des risques encourus par le diabétique fumeur est particulièrement longue avec, et tout d’abord, une surmortalité considérable : + 58% de mortalité toutes causes, + 48% de risque de maladie coronaire et + 44% de risque d’accident vasculaire cérébral.

10. La question clé pour évaluer la dépendance : « Au bout de combien de minutes après votre réveil fumez-vous votre première cigarette ? »

En pratique clinique (ce qui n’est pas le cas en situation de recherche clinique), le Fagerström Test for Cigarette Dependence (FTCD) est désormais dépassé. Conçu dans les années 70, il ne correspond plus aux habitudes tabagiques des années 2010, avec des fourchettes de consommation nettement moins élevées aujourd’hui en moyenne. La première question du FTCD : « Au bout de combien de minutes après votre réveil fumez-vous votre première cigarette ? » suffit et est bien plus pertinente pour évaluer la dépendance et la difficulté du sevrage. Indépendante de la consommation quotidienne, il a été démontré qu’elle prédit le risque de cancer du poumon et l’espérance de vie.

Les catégories sont les suivantes : « Dans les 5 premières minutes » : score=3 ; « Entre 6 et 30 minutes : score=2 ; « Entre 31 et 60 minutes » : score =1 ; « Après 60 minutes » : score= 0. Avec celle sur le nombre cigarettes quotidiennes, ces deux questions constituent le Heaviness of Smoking Index (HSI), utile en pratique médicale de ville.

11. Le nombre de cigarettes journalières permet d’estimer la dose quotidienne des substituts nicotiniques à prescrire. 1 cigarette équivaut à 1 mg de nicotine environ, en sachant que la biodisponibilité des substituts nicotiniques est moindre que celle de la cigarette (20% en moins). Exemple : 15 cigarettes/j équivaut à environ 20 mg de substituts nicotiniques /j et non 15 mg/j. Une dose à ré-évaluer durant le suivi, et à ajuster selon les habitudes tabagiques au cours de la journée, à l’aide des substituts nicotiniques à absorption buccale.

12.  Les agonistes nicotiniques sont les substituts nicotiniques et la varénicline. Les patchs (timbres) nicotiniques, dispositifs transdermiques diffusent la nicotine de manière lente et régulière. Les formes à absorption buccale (gommes à mâcher, inhaleurs, comprimés à la nicotine à sucer ou à faire fondre sous la langue) délivrent la nicotine plus rapidement et nécessitent plusieurs prises par jour. Depuis le printemps 2018, l’Assurance-maladie rembourse progressivement les différents substituts nicotiniques et la varénicline à hauteur de 65%. Avant, les substituts nicotiniques étaient remboursés à hauteur de 150 euros par an. Résultat : le nombre d’ordonnances délivrées par les médecins a bondi ! En septembre, il a déjà augmenté de 66% par rapport à l’an passé. A compter du 1er janvier 2019, 100% des substituts seront concernés par le remboursement.

13. La varénicline est un agoniste partiel des récepteurs nicotiniques cérébraux. Après une phase d’introduction d’une semaine, la dose standard est de 2 mg/jour. Les comprimés dosés à 0,5 mg permettent une souplesse d’adaptation de doses. La varénicline est en général prescrite en cas d’échec des substituts nicotiniques et le refus des contraintes des substituts nicotiniques.

La coprescription varénicline et nicotine (prescription hors Autorisation de Mise sur le Marché), est théoriquement sans intérêt, car ciblant les mêmes récepteurs nicotiniques.

Le choix de l’agoniste nicotinique dépend en grande partie de la préférence du fumeur.

14. La varénicline est environ deux fois plus efficace comparée au bupropion et aux substituts nicotiniques pris individuellement (risque relatif aux alentours de 2,7 pour la varénicline et de 1,5 pour les substituts nicotiniques comparé au placebo). L’efficacité de la varénicline et des substituts nicotiniques est similaire lorsque ces derniers sont associés entre eux.

15. Le bupropion LP (inhibiteur sélectif de la recapture neuronale des catécholamines noradrénaline et dopamine), un dérivé d’amphétamine, est rarement prescrit en France. Commercialisé à la dose fixe de 150 mg/jour pour une dose maximale de 300 mg/jour, il expose à un risque d’insomnies (25 à 35 % des cas), d’états hypomaniaques, d’irritabilité, de dépression, de maux de tête etc.

Les traitements actuels pharmacologiques réduisent la prise de poids à l’arrêt tabagique ; sur ce point l’effet du bupropion est le plus important.

16. La prise de poids est en moyenne de 4-5 kg pendant l’année suivant le sevrage. Elle ne compromet absolument pas l’énorme bénéfice de l’arrêt du tabac.

17. Au sevrage, environ 16 % des ex-fumeurs perdent du poids ; cela peut être sans signification clinique mais il faut malgré tout penser à rechercher une maladie associée pouvant expliquer cette perte de poids.

18.  Contrairement à ce que l’on peut entendre dans la presse, il n’existe pas en 2018 d’études méthodologiquement acceptables concluant que la cigarette électronique serait une aide au sevrage tabagique. Le Département de pharmacologie du CHU Pitié-Salpêtrière et l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris viennent de débuter une étude sur cette question qui inclura près de 700 fumeurs. La cigarette électronique est probablement un bon substitut nicotinique : sa pharmacocinétique s’apparente plus à la cigarette qu’aux substituts nicotiniques, avec une concentration maximale nicotinique dans le cerveau probablement très vite atteinte. En revanche, les preuves s’accumulent concernant le fait qu’elle est une porte d’entrée dans le tabagisme pour les jeunes non-fumeurs.

19. Un danger grandissant. Elle épargne pour l’instant l’Europe mais l’épidémie de vaporette avec la Juul® touche 30% des adolescents aux USA (2) selon une publication de septembre 2018. Sous une forme qui s’apparente à une clé USB, les personnes inhalent des sels nicotiniques aromatisés en quantité bien plus importante que dans la cigarette électronique (50-59 mg/ml de nicotine contre ≤20 mg/ml dans la cigarette électronique) ou la cigarette, provoquant un « flash » d’effet d’où une addiction très rapide.

Hélène Joubert, journaliste. Merci au Dr Yvan Berlin.

Références

(1) Low cigarette consumption and risk of coronary heart disease and stroke: meta-analysis of 141 cohort studies in 55 study reports. BMJ 2018;360:j5855

(2) Adolescents’ Use of “Pod Mod”E-Cigarettes — Urgent Concerns New England J Med 2018; 379:1099-1102

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