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Cancer du poumon : à quand un dépistage systématique chez les fumeurs pour sauver des vies ?

Pr Charles-Hugo Marquette, chef du service de pneumologie au CHU de Nice

7 500 vies pourraient être épargnées grâce à un dépistage systématique du cancer du poumon par scanner thoracique chez les gros fumeurs ou ex-fumeurs de plus de 50 ans. Pour le Pr Charles-Hugo Marquette, chef du service de pneumologie au Centre Hospitalier Universitaire de Nice, une telle politique de dépistage dans l’Hexagone est urgente. Avec une trentaine d’experts cancérologues, pneumologues et radiologues, il monte au créneau pour réclamer sa mise en place. Il s’explique au micro de l’Association BPCO.

200 morts par jours sont dues au tabac. Quelle est la part du cancer du poumon ?

Pr CH Marquette : 50% des décès liés au tabagisme ont une cause cardiovasculaire. 30% sont dus au cancer du poumon. Les 20% restants sont des cancers ORL ou de la vessie, des accidents vasculaires cérébraux etc. La BPCO représente à peine 10% de ces décès. En effet, les personnes BPCO décèdent principalement de causes cardiaque et cancéreuse, du fait des progrès de l’oxygénothérapie.

Aujourd’hui, dépiste-t-on trop tardivement le cancer du poumon ?

Actuellement, les trois-quarts des cancers du poumon sont diagnostiqués à un stade localement avancé ou disséminé dans l’organisme, c’est-à-dire qu’ils sont non opérables. Une politique de dépistage ciblé permettrait d’inverser exactement la proportion : 75% des cancers du poumons seraient alors opéables et, de ce fait, guérissables.

En France, sur les 31 000 morts du cancer du poumon chaque année, un tel dépistage pourrait sauver 7 500 vies. Les Etats-Unis, le Canada et l’Australie ont déjà sauté le pas.

Dans quels cas fait-on passer un scanner thoracique ?

L’indication actuelle du scanner thoracique n’est pas le dépistage du cancer du poumon mais l’exploration de symptômes cliniques, tels une toux durable, un amaigrissement, du sang dans les crachats… Car la particularité du cancer du poumon est d’être longtemps asymptomatique (entre 6 et 18 mois). Comme il n’y a pas de « nerf de la douleur » dans le poumon, une tumeur (nodule) peut donc croître incognito. Une boule de la taille d’un pamplemousse dans le poumon ne provoque généralement aucun symptôme. Lorsque qu’il se manifeste, le cancer se trouve déjà à un stade trop avancé. Ce qu’il faut savoir est que le scanner (tomodensitométrie) à basse dose du thorax est peu irradiant.

Image de nodule pulmonaire sur une tomodensitométrie (scanner) à basse dose du thorax (flèche) (droits : Ch-H Marquette, CHU Nice)

Le dépistage prend donc tout son sens parce que le cancer du poumon n’est que tardivement symptomatique ?

En effet, ce premier argument justifie l’acte de dépistage. Mais il y en a d’autres comme le fait de posséder un traitement efficace dans les formes localisées et précoces, et l’identification d’une population cible (les plus de 50 ans, ex ou actuels gros fumeurs). Enfin, depuis novembre 2018 des preuves incontestables sont apparues en faveur du bénéfice d’un dépistage dans cette population cible en termes de décès évités. L’étude belgo-néerlandaise Nelson (Nederlands-Leuven Screening ONderzoek)** dont les résultats préliminaires ont été présentés au 19ème congrès du WCLC (World Conference on Lung Cancer) fin 2018 à Toronto (Canada) affirme que grâce au dépistage systématique, la mortalité liée au cancer du poumon serait réduite de 25 %, voire un peu plus chez les femmes, ce qui est considérable.

Une étude américaine (National Lung Screening Trial)* avait déjà chiffré en 2011 une réduction de la mortalité de 20%, et une réduction de 7% de la mortalité générale (toutes causes confondues). Ces résultats avait conduit à plusieurs recommandations et avis d’experts en faveur du dépistage.

La technologie et les techniques d’interprétation ont été optimisées dans l’essai NELSON, permettant d’améliorer largement les performances du dépistage comparé à l’étude américaine.

Quelles sont les personnes qui devraient bénéficier du dépistage du cancer du poumon ?

Il s’agirait de proposer un scanner thoracique à partir de 50 ans chez les individus à risque, une population qui reste à définir précisément (fumeurs ou ex-gros fumeurs). La Haute Autorité en Santé française a refusé en 2016 de mettre en place ce dépistage. Gageons qu’elle changera d’avis au vu de ces nouvelles données. Notre groupe d’experts*** en appelle au Ministère de la Santé et des Solidarités (conformément à sa stratégie nationale de santé 2018-2022), à l’Institut National du Cancer (dans le cadre du Plan cancer 2014-2019) et à la Haute Autorité de Santé pour initier rapidement une réflexion sur les modalités de sa mise en œuvre. Le dépistage du cancer du poumon pourrait être facilement financé par une infime partie du prix du tabac (moins de 10 centimes par paquet de cigarettes) ****.

La mise en place de ce dépistage est-elle réaliste en France, au vu du parc restreint de scanners et de la démographie des radiologues thoraciques ?

En effet, les moyens techniques et humains seraient insuffisants. Les services de pneumologie oncologique seraient vite saturés. Tous ces points doivent être étudiés et l’organisation doit se mettre en place progressivement. Néanmoins, en attendant, les structures actuelles seraient en mesure d’absorber la montée en puissance du dépistage, au fur et à mesure qu’il entrera dans les mœurs. Cela prendra du temps, comme dans le dépistage du cancer du sein ou colorectal. Aux Etats-Unis, 5 ans après le top départ du dépistage du cancer du poumon, moins de 4% de la population cible a effectivement réalisé un scanner thoracique de dépistage. L’un des freins majeurs est la stigmatisation de ce cancer lié au tabagisme.

Mais l’insuffisance de moyens serait principalement due à la persistance d’une « zone grise » du dépistage du cancer du poumon. En effet, le problème des anomalies non cancéreuses n’est pas encore parfaitement réglé. Je m’explique : au scanner, un tiers de la population cible se voit détecter une anomalie appelée « nodule de nature indéterminée ». Dans la population dépistée, seulement 1% a réellement un cancer du poumon. Environ 30% ont un nodule qui n’est pas cancéreux. Aujourd’hui, pour ne pas passer à côté d’un nodule cancéreux, il faut donc proposer un scanner de façon répétée tous les 3 à 6 mois à l’ensemble des personnes ayant un « nodule de nature indéterminée ». Le fardeau énorme du « nodule de nature indéterminée » est responsable de scanners thoraciques itératifs, avec trop peu de scanners pour y faire face, de procédures de diagnostic coûteuses en aval et d’une anxiété inutile pour les personnes concernées.

Cela ne remet pas en question le bien fondé du dépistage dont la mise en place devrait être immédiate, mais il y a encore matière à trouver les moyens de l’optimiser, en termes de flux de patients, d’algorithmes décisionnels et de prise en charge en aval du dépistage. Par exemple, aux Etats-Unis, des « Cliniques du nodule » ont été créés. Des projets de recherche, dont certains font appel à l’intelligence artificielle, ont été déposés, visant à optimiser et à mettre en pratique le dépistage par scanner. L’idée étant de partir du résultat du scanner et de compléter l’évaluation par d’autres éléments, qu’ils soient biologiques, cliniques, antécédents personnels et familiaux etc.

Propos recueillis par Hélène Joubert, journaliste, le 04/01/19.

Références :

* N Eng J Med. 2011; 365: 395-409

** De Koning H-J. et al. WCLC2018 Meeting, Toronto, #PL02.05

*** Fichier

**** Rev Mal Respir. 2017 Sep;34(7):717-728

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