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BPCO et altitude font-ils bon ménage ?

Samuel Vergès est spécialisé dans l’étude des réactions de l’organisme soumis à une privation d’oxygène (hypoxie). Il rentre tout juste du Pérou. Son équipe constituée d’une quinzaine de scientifiques internationaux a étudié les adaptations du corps à la vie en très haute altitude, à La Rinconada, la ville la plus haute du monde, juchée à 5 300m. Là, vivent 50 000 habitants dans un environnement extrême qui pousse le corps humain dans ses retranchements. Le Dr Samuel Vergès nous parle de l’effet de l’altitude chez les personnes souffrant de BPCO.

Que cherchiez-vous à étudier en passant plus d’un mois parmi les habitants de la Rinconada ?

Dr Samuel Vergès, Responsable de l’Expédition 5300*, chercheur à l’INSERM, Laboratoire HP2 (U 1042), Université Grenoble Alpes et UM Sports Pathologies au CHU Grenoble : « Nous y avons étudié les adaptations de ces habitants à un environnement disposant de moitié moins d’oxygène qu’au niveau de la mer ainsi que le mal chronique des montagnes, chez des personnes dont la saturation en oxygène du sang artériel est d’environ 80% de façon permanente. Afin de tolérer ce manque d’oxygène au long cours, leur organisme produit de plus en plus de globules rouge, leur hématocrite (proportion de globules rouges dans le sang) pouvant atteindre 80% (contre environ 40% pour des habitants de plaine), ce qui a pour conséquence de rendre leur sang beaucoup plus visqueux. Peu fluide, celui-ci peine à circuler dans les vaisseaux sanguins. Le cœur force pour compenser ce ralentissement de la circulation, d’où des problèmes cardiovasculaires et des symptômes de mal chronique des montagnes, rencontrés chez 25% de la population, avec un risque accru d’accident cardiaque, d’accident vasculaire cérébral, d’hypertension artérielle pulmonaire… »  

Les effets de la privation d’oxygène (hypoxie) produit des effets délétères mais aussi positifs ?

« L’hypoxie peut être envisagée au moins en partie de la même façon que l’activité physique : une pratique trop intense sans progression peut produire de fâcheuses conséquences (courbatures, blessures, etc.). En revanche, une pratique régulière et un entraînement progressif permettent au corps de s’adapter. Être soumis à une hypoxie sévère et soudaine, en se rendant directement en haute altitude par exemple, peut entraîner des difficultés d’acclimatation voire des troubles respiratoires graves. A l’inverse, être exposé à une dose adaptée d’hypoxie, de manière modérée, régulière et contrôlée peut produire des effets protecteurs et réparateurs sur l’organisme et lui permettre de développer des mécanismes défensifs et adaptatifs contre le stress dû au manque d’oxygène. Nous conduisons des protocoles de recherche chez certains patients utilisant un degré d’hypoxie simulant une altitude assez élevée durant une heure, trois fois par semaine. Nous pensons que l’on pourrait traiter un certain nombre de maladies cardiovasculaires et respiratoires par l’hypoxie agissant tel un stress physiologique, au repos ou à l’effort, susceptibles d’induire des mécanismes de protection voire de régénération ».

Sans prévoir de déménager à de telles altitudes, que se passe-t-il lorsque l’on passe plusieurs semaines aux alentours de 3 000 m ou quelques jours à 4000 m ?

« Le manque d’oxygène disponible en altitude stimule la respiration, à l’effort comme au repos. La ventilation augmente afin de compenser en partie ce moindre taux d’oxygène dans l’air. L’essoufflement apparaît, associé à une diminution des capacités à l’effort. La qualité de l’air varie aussi. Il devient souvent plus froid et sec en altitude, ce qui peut potentiellement être problématique chez les personnes asthmatiques avec un risque accru de crises d’asthme.

En altitude, comme un « sujet sain », une personne BPCO va donc « désoxygéner » son sang. Avec une différence : le sujet sain part d’une saturation artérielle en oxygène de 98% en plaine et subira une désaturation de 10% environ à 3000 m par exemple alors qu’un sujet BPCO partira d’une saturation éventuellement moindre déjà en plaine, et pourra avoir plus de mal à compenser, avec un essoufflement plus marqué. Néanmoins, certaines études ont montré qu’une personne BPCO dont l’état de santé est stable, peut monter jusqu’à 3 000-3 500 m d’altitude sans problème particulier, à la condition d’une évaluation médicale préalable et d’être capable de tolérer l’effort physique éventuellement associé ».

Une affection pulmonaire -stabilisée – ne prive donc pas les personnes BPCO de la beauté des régions d‘altitude ?

« Une personne BPCO peut envisager avec son médecin un voyage en altitude modérée.Bien sûr, plus la BPCO est sévère, plus il faut être précautionneux. On a eu tendance par le passé à dramatiser par exemple la désaturation à l’effort mais c’est plus souvent l’hypercapnie (taux trop élevé de dioxyde de carbone dans le sang artériel) qui est délétère chez le patient BPCO. A l’inverse, le sujet sain, lui, devient hypocapnique à l’effort en altitude car il expire une quantité accrue de CO2.

En altitude modérée, le patient BPCO doit prendre certaines précautions lors d’un effort physique comme ralentir son rythme de marche, accepter d’être plus essoufflé, envisager un accès rapide à une prise en charge médicale. Le problème est plus souvent le surcroit d’activité physique que l’altitude en elle-même, car les malades BPCO conservent des capacités d’adaptation à l’altitude ».

Existe-t-il des risques particuliers dans le cas d’une BPCO ?

« Difficile de prédire l’influence de l’altitude sur le degré d’obstruction bronchique. En théorie, la diminution de la densité en haute altitude peut réduire les résistances et améliorer les débits de l’air. Cependant, cet effet bénéfique pourrait être contrebalancé par le fait que l’hypoxie, et surtout l’exposition au froid, peuvent aggraver l’obstruction bronchique.

Un autre problème lié à la BPCO en relation avec l’altitude est l’hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) pouvant être accrue par l’hypoxie d’altitude.

Quant à la survenue d’un pneumothorax spontané chez les patients souffrant d’un emphysème avec des lésions bulleuses, contrairement à la plongée, la cinétique de la différence de pression est insuffisante pour accroître significativement la taille des bulles ».

Quelle est l’évaluation médicale minimale ?

« Chez les personnes BPCO comme en population générale, il existe une importante variabilité interindividuelle en termes de capacité à tolérer l’altitude. La visite médicale concerne un contrôle de la pathologie respiratoire. En effet, pour les séjours en altitude, la question cruciale est de savoir si le patient peut maintenir des valeurs acceptables de PaO2, reflet de la quantité d’oxygène transportée par le sang et délivrée aux organes, ou s’il nécessite la prescription médicale d’une oxygénothérapie supplémentaire. Une consultation spécialisée pourra déterminer les capacités à l’effort physique avec une épreuve d’effort. Une évaluation pourra également être conduite en altitude simulée afin d’évaluer les capacités cardiorespiratoires d’adaptation à l’hypoxie.

Le médecin effectuera une gazométrie sanguine (analyse des gaz du sang consistant à mesurer l’acidité, les niveaux d’oxygène et de dioxyde de carbone dans le sang artériel).

Enfin, il prendra en compte l’ensemble des comorbidités, c’est-à-dire les maladies associées (diabète etc.) ».

Que faut-il ne surtout pas négliger dans sa préparation ?

« Il faut aussi vérifier que les traitements seront accessibles sur place (capacité de certaines machines à fonctionner dans le froid et une moindre pression atmosphérique etc.) ou encore la possibilité de redescendre en plaine très rapidement.

Un traitement de secours doit être prévu en cas d’exacerbation (bronchodilatateurs, oxygène, antibiotiques, etc) ».

Où se rendre lorsque l’on a un projet de partir en altitude ?

« Pour préparer un trekking, un voyage sur des hauts plateaux ou simplement séjourner dans des stations des Alpes, il existe des Consultations de Médecine de Montagne installées dans diverses structures hospitalières**.

Consulter peut aussi être judicieux lors d’un voyage transatlantique en avion à près de 10 000m d’altitude, afin de déterminer s’il y a besoin d’organiser de l’oxygène supplémentaire. En effet, cela revient à passer 10 h à 2 000-2 500 m. Par exemple, le test « fit to fly » en condition hypoxique évalue l’adaptation de l’organisme avec la saturation artérielle en O2, la fréquence cardiaque etc.

Toute personne ayant un projet particulier un peu « hors norme » devrait consulter dans ces centres de médecine de montagne, où seront étudiés la vitesse d’ascension, l’accès aux secours ou le risque de mal aigu de montagnes. Celui-ci ne survient qu’au bout de 6-8h minimum après une ascension et peut dégénérer en œdème pulmonaire ou cérébral de haute altitude. Des conseils sont délivrés à cette occasion, comme de se limiter à une différence d’altitude de 300 à 500 m au maximum entre deux nuits au-dessus de 2 500-3 000m ou encore sur le choix de l’équipement (port de l’oxygène en tout-terrain, recharges, augmentation de l’oxygène en fonction de l’altitude…)

Enfin, les nuits sont critiques car l’altitude ajoute des perturbations respiratoires (respiration périodique ou apnée centrale) supplémentaires au syndrome des apnées obstructives du sommeil, une pathologie parfois constatée chez les patients BPCO. Les patients ayant un appareillage CPAP (continuous positive airway pressure) ou une oxygénothérapie à domicile doivent continuer ce traitement ».

* Plus de renseignement sur le site www.expedition5300.com

** Liste des consultations de médecine des montagnes : http://www.exalt-association.org/annuaire/ http://www.arpealtitude.org/objectifs/prevention/consultations/consultations.html

Propos rapportés par Hélène Joubert, journaliste, sur la base d’un interview de Samuel Vergès.

Crédit photos : Tom Bouyer Expédition 5300

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