Dossiers
Avoir une BPCO et travailler

Avoir une BPCO et travailler

La bronchopneumopathie chronique obstructive ou BPCO souffre d’un déficit de reconnaissance au travail. A peine un employeur sur deux est informé de la BPCO de son salarié. Et, lorsque c’est le cas, seul un travailleur sur quatre bénéficie d’un aménagement de poste. A cela s’ajoute le regard des collaborateurs, suspicieux, voire culpabilisateur vis-à-vis d’une maladie invisible et peu connue. Enquête.

 

 

SOMMAIRE

Changer le regard des autres au travail

Un compromis entre le risque médical et le risque social

Oser déclarer son handicap

La BPCO, à l’origine d’une dégradation de la situation financière

BPCO, il n’y a pas que le tabac

Témoignage de Christiane Pochulu, 63 ans (Marseille)

Dossier réalisé par Hélène Joubert, journaliste.

 

Selon une enquête commandée par l’Association BPCO* en 2016, un tiers (33%) des malades diagnostiqués BPCO pendant leur vie active a dû changer de métier ou arrêter de travailler, dont 34% d’ouvriers. Comme attendu, ce pourcentage atteint 70% pour les BPCO sévères (stade 4), 17% pour les BPCO légères (stade 1).

La maladie BPCO impacte l’activité professionnelle, différemment selon le type de travail, posté ou plus physique. Mais dans tous, la dyspnée, et a fortiori la survenue d’une insuffisance respiratoire chronique, altèrent les performances physiques et retentissent sur la vie quotidienne et le travail. La dyspnée est le facteur limitant par excellence car le symptôme cardinal de la BPCO, devant les exacerbations. Cette maladie évoluant par poussées, plus ou moins sévères, elle implique le plus souvent des arrêts de travail et un absentéisme difficile à gérer pour l’employeur et à comprendre de la part des collaborateurs.

 

Changer le regard des autres au travail

Le versant social de la maladie compte pour beaucoup dans la BPCO, quel que soit la sévérité, surtout pour ceux qui sont sous oxygène. Le regard de l’autre, du collègue ou du public peut être considéré comme négatif par rapport à la maladie. Cela requiert un travail de pédagogie et d’information sur la BPCO de la part du médecin du travail vis-à-vis des collaborateurs mais aussi des employeurs, et pas seulement pour qu’ils intègrent au mieux les employés BPCO ayant des postes en contact avec le public. Car maintenir une personne BPCO dans son emploi est essentiel. Le travail est un levier d’insertion sociale. Comme il n’existe pas de notion de maladie chronique dans le Code du travail, lorsque les répercussions de la maladie sont trop importantes, le salarié a plutôt intérêt à informer son employeur de son handicap et à faire une demande de reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH) avec parfois la possibilité de mise en invalidité. « Cette dernière éventualité n’est pas forcément souhaitée par les intéressés car, par le biais du travail, ils conservent un rôle social, souligne le Dr Frédéric Le Guillou, pneumologue (La Rochelle) et président de l’Association BPCO. Une rupture de contrat de travail accroît l’isolement social pour le malade BPCO. Il faut tout tenter pour insérer les travailleurs BPCO dans la société, au moyen d’un emploi compatible avec leurs capacités restantes et la préservation de leur santé mais aussi des possibilités de l’entreprise. Des mutations peuvent même être envisagées lorsqu’un changement ou un aménagement de poste s’avère impossible ». Un vœu pieux à en croire l’enquête NXA : parmi les personnes qui déclarent avoir un employeur informé de leur pathologie, seul un quart a bénéficié d’un aménagement de poste, surtout parmi la catégorie des agriculteurs exploitants.

Cet enjeu du maintien dans l’emploi au travers de l’aménagement de poste concerne l’ensemble des maladies chroniques. Cependant, les malades BPCO doivent non seulement faire face à leur handicap au travail mais aussi au jugement de la société, de leurs collègues ou employeurs qui les culpabilise d’avoir un long passé tabagique à l’origine de la maladie. 85% des BPCO sont provoquées par le tabac. « La BPCO souffre d’une stigmatisation et de la dureté du regard des autres, déplore Marie Delenne, patiente experte diplômée en Education thérapeutique, ayant exercé avant une mise à la retraite anticipée pour maladie chronique (sclérose en plaques) à l’Inspection du Travail** et le milieu professionnel n’est pas épargné. « Tu tousses donc tu fumes » : la culpabilisation, l’absence de compréhension et d’empathie sont spécifiques à cette maladie chronique ».

 

Un compromis entre le risque médical et le risque social

Travailler avec une BPCO, c’est composer avec une maladie chronique, pas uniquement respiratoire. C’est travailler avec un handicap, exigeant que le malade se surpasse pour réaliser la même tâche que son collègue indemne. Aussi, a-t-il besoin du médecin du travail. Celui-ci joue un rôle central, soutenu par le pneumologue et son expertise dans la BPCO. « Lorsque l’état de santé d’un travailleur est altéré, le personnage-clé est le médecin du travail, confirme Marie Delenne. Suite à une évaluation clinique de la personne BPCO (sévérité des symptômes, exploration fonctionnelle respiratoire, étiologie, évolutivité de la maladie), il pourra juger d’une inaptitude (inadéquation entre un poste de travail précis et l’état de santé de celui qui l’occupe), étoffer un dossier d’invalidité (décision qui révèle une altération des capacités de la personne à travailler en général), voire proposer un Temps Partiel Thérapeutique lors de la reprise du travail après un arrêt maladie ou un Congé Longue Durée dans la fonction publique etc. » Il sait aussi quels sont les interlocuteurs (financeurs, techniciens, travailleurs sociaux etc.) qui pourront proposer des solutions techniques concrètes et pourra notamment solliciter les Organismes de Placement Spécialisés, instaurés en 2018. Le médecin du travail doit aussi dépister les comorbidités comme la dépression psychique liée au risque d’incapacité de tenir son poste de travail.

L’étude de poste, par le médecin du travail, est décisive. L’aménagement d’un poste adapté au handicap du salarié sera, par exemple, attribuer un travail de caisse à un vendeur plutôt que de la mise en rayons ou le port de charges, ou la création d’une salle de repos avec des pauses plus fréquentes. Il doit s’assurer que le traitement de fond peut être suivi pendant le travail, que le salarié dispose des équipements de sécurité nécessaires etc. « Non seulement le médecin du travail devrait participer à la détection de la maladie chez les fumeurs – seul un tiers des malades est diagnostiqué – mais aussi évaluer la réalité du handicap chez le patient BPCO et son aptitude, précise Frédéric le Guillou. Ensuite, si ce dernier est déjà en ALD (ALD 14 insuffisance respiratoire grave ; VEMS<50% ou oxygénothérapie) cela peut déboucher sur la reconnaissance de travailleur handicapé. Parfois, l’évaluation clinique du malade BPCO peut avoir une issue dramatique, faute de poste adéquate disponible adapté à la contrainte, et déboucher sur un licenciement. »

 

Oser déclarer son handicap

Selon la Loi, les entreprises de vingt salariés et plus devraient compter 6 % de personnes en situation de handicap dans leurs effectifs. Un statut de travailleur handicapé qui n’est pas forcément péjoratif ni pour l’entreprise, qui remplit ainsi les conditions légales sans avoir à s’acquitter d’une « compensation », ni pour le salarié. Déclarer sa situation de handicap – ce qui n’a aucun caractère obligatoire – est un droit et un atout : c’est devenir acteur de sa vie professionnelle en se donnant les moyens d’exercer efficacement et sereinement son activité sans devoir compenser, seul, sa situation de handicap ce qui, à terme, pourrait aboutir à une inaptitude professionnelle. Cela ouvre des droits pour l’employeur à un soutien technique et financier de la part de l’Association de gestion du fonds pour l’insertion des personnes handicapées (Agefiph) pour mettre en œuvre les aménagements nécessaires (poste bureautique adapté, fauteuil, réduction du temps de travail, télétravail…), d’élaborer un parcours de formation personnalisé dans le cas d’un reclassement etc. En 2016, le taux d’employeurs informés du handicap généré par la BPCO de leur salarié est de 45%, dans l’enquête NXA. « La maladie n’est pas un frein assure Marie Delenne. C’est souvent l’amorce d’un processus adaptatif ».

Mais souvent, conserver son poste et obtenir des aménagements est un parcours du combattant. « J’ai le souvenir d’un peintre en bâtiment avec une BPCO sévère, poursuit Frédéric Le Guillou, au service duquel j’ai mis mon expertise pour qu’il conserve son emploi. Ce fut difficile de faire comprendre à son employeur qu’il ne faisait pas preuve d’un manque de volonté. Avec la BPCO, invisible, il faut aller à l’encontre des jugements de valeur, résister aux pressions de démission ».

Eviter la rupture avec le monde du travail est le mot d’ordre. Un nouveau dispositif « Emploi accompagné » créé en 2017 peut s’avérer utile sur le versant à la fois professionnel et médico-social aux travailleurs handicapés rencontrant des difficultés à sécuriser leur parcours professionnel. « Les personnes en situation d’inaptitude doivent être accompagnées très précocement, insiste Marie Delenne. En effet, si l’arrêt de travail doit être bien entendu respecté, l’on sait que plus celui-ci est court, plus les chances de reprise du travail sont élevées. Une personne arrêtée depuis six mois a une chance sur deux de reprendre son travail. Si cette durée est de deux ans, cette chance est bien plus faible ».

La BPCO, à l’origine d’une dégradation de la situation financière

Mais attention, l’idée dans l’aménagement d’un poste de travail n’est pas non plus de laisser ces personnes BPCO sédentaires. Ce serait contre-productif ; une activité minimale physique étant essentielle pour lutter contre la progression de la maladie.

Enfin, le travail, au-delà du rôle social et du moyen de conserver une activité physique est aussi de gagner dignement sa vie. Dans le sondage NXA, 29 % des personnes BPCO connaissent une évolution négative de leur situation financière depuis la détection de leur BPCO. Celle-ci évolue négativement à partir du stade 3 de la maladie, notamment auprès des foyers modérés.

« L’action majeure de la part des pouvoir public serait de faire connaître la maladie pour la faire accepter, insiste le Dr Le Guillou. Cette « tueuse silencieuse » est encore largement méconnue, auprès du grand public et spécifiquement auprès des employeurs, des collaborateurs, des travailleurs sociaux. C’est aussi une question de civisme, en jouant par exemple sur des déterminants de santé pour éviter l’aggravation de la maladie : prévention du tabagisme, valorisation de l’activité sportive avec l’installation d’équipements sportifs, campagnes de vaccination antigrippale et antipneumococcique au sein de l’entreprise pour protéger ces travailleurs particulièrement fragiles ».

*Sondage NXA BPCO & Autonomie Impact de la BPCO sur la qualité de vie au quotidien ; mai 2016, conduit après des patients adhérents de l’association.

** à la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, et au Centre Interministériel de Renseignements Administratifs. Son champ d’intervention était le droit du travail, les mesures Emploi et les dispositifs de formation professionnelle